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contours arrondis de ces Bourbons qu’il aimait tant, se gonflait, s’empourprait d’une forte émotion.

C’était, ce maître Méraut, un terrible homme, violent et despote, à qui l’habitude de dominer le bruit des battants et de la masse avait mis dans la voix des éclats et des roulements d’orage. Sa femme, au contraire, effacée et timide, imbue de ces traditions soumises qui font des Méridionales de la vieille roche de véritables esclaves d’Orient, avait pris le parti de ne plus prononcer une parole. C’est dans cet intérieur qu’Élisée avait grandi, mené moins durement que ses deux frères, parce qu’il était le dernier venu, le plus chétif. Au lieu de le mettre dès huit ans à la navette, on lui laissait un peu de cette bonne liberté si nécessaire à l’enfance, liberté qu’il employait à courir l’enclos tout le jour et à batailler sur la butte des moulins à vent, blancs contre rouges, catholiques contre huguenots. Ils en sont encore à ces haines, dans cette partie du Languedoc ! Les enfants se divisaient en deux camps, choisissaient chacun un moulin dont la pierraille croulante leur servait de projectiles ; alors les invectives se croisaient, sifflaient les frondes, et pendant des heures on se livrait des assauts homériques, terminés toujours tragiquement par quelque fente saignante sur un front de dix ans ou dans le fouillis d’une chevelure soyeuse,