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LES ROIS EN EXIL

vue du quartier ouvrier bourdonnant et serré comme une ruche, c’était la butte pierreuse sur laquelle on l’avait bâti et quelques vieux moulins à vent abandonnés, anciens nourriciers de la ville, que l’on conservait pour leurs longs services, dressant là-haut le squelette de leurs ailes comme de gigantesques antennes brisées, et laissant se détacher et fuir leurs pierres dans le vent, le soleil et l’âcre poussière du Midi. Sous la protection de ces moulins ancêtres s’étaient gardées là des mœurs et des traditions d’un autre temps. Toute la bourgade, on appelle aussi ce coin de faubourg l’enclos de Rey, était, elle est encore ardemment royaliste, et dans chaque atelier on trouvait pendu à la muraille, bouffi, rose et blond, les cheveux longs bouclés et pommadés avec de jolies lumières sur leurs boucles, le portrait — à la mode de 1840 — de celui que les bourgadiers nommaient familièrement entre eux lou Goï (le boîteux). Chez le père d’Élisée, au-dessous de ce cadre il y en avait un autre plus petit où se détachait sur le bleu d’une feuille de papier à lettres un grand cachet de cire rouge avec ces deux mots « Fides, spes », en exergue autour d’une croix de Saint-André. De sa place, en faisant aller sa navette, maître Méraut voyait le portrait et lisait la devise foi… espérance… et sa large face aux lignes sculpturales, vieille médaille frappée sous Antonin, qui avait elle-même le nez aquilin et les