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— Quand ? demanda l’illuminé, subitement repris par sa chimère de faire un roi de son génie, comme un écrivain fait son œuvre.

Et sur l’heure même on convint d’un prochain rendez-vous.

Lorsque Élisée Méraut pensait à son enfance, — il y pensait souvent, car toutes les impressions fortes de sa vie étaient là, — voici régulièrement ce qu’il voyait : une grande chambre à trois fenêtres, inondées de jour et remplies chacune par un métier Jacquart à tisser la soie, tendant comme un store actif ses hauts montants, ses mailles entre-croisées, sur la lumière et la perspective du dehors, un fouillis de toits, de maisons en escalade, toutes les fenêtres également garnies de métiers où travaillaient assis deux hommes en bras de chemise alternant leurs gestes sur la trame, comme des pianistes devant un morceau à quatre mains. Entre ces maisons, de petits jardins en ruelle grimpaient la côte, jardinets du Midi brûlés et pâles, arides et privés d’air, pleins de plantes grasses, de cougourdiers montants et que de grands tournesols larges épanouis vers le couchant, avec l’attitude penchée des corolles cherchant le soleil, remplissaient de l’odeur fade de leurs graines mûrissantes, odeur qu’après plus de trente ans Élisée croyait sentir encore quand il pensait à son faubourg. Ce qui dominait cette