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LES ROIS EN EXIL

— Oh ! madame… Si j’avais su…

— Ne vous excusez pas, dit Frédérique déjà plus calme, je suis venue ici pour entendre la vérité, cette vérité que nous n’avons jamais, nous autres, même en exil… Ah ! monsieur Bouchereau, que les reines sont malheureuses ! Dire qu’ils sont là tous à me persécuter pour que je fasse opérer mon enfant ! Ils savent pourtant bien qu’il y va de sa vie… Mais la raison d’Etat !… Dans un mois, quinze jours, peut-être plus tôt, les Diètes d’Illyrie vont envoyer vers nous… On veut avoir un roi à leur montrer… Tel qu’il est là, passe encore ; mais aveugle ! Personne n’en voudrait… Alors, au risque de le tuer, l’opération !… Règne ou meurs… Et j’allais me faire complice de ce crime… Pauvre petit Zara !… Qu’importe qu’il règne, mon Dieu !… Qu’il vive ! qu’il vive !… »

Cinq heures. Le soir tombe. Dans la rue de Rivoli encombrée par le retour du Bois, l’heure des dîners, les voitures vont au pas, suivant la grille des Tuileries qui semble, frappée par le couchant hâtif, s’étendre sur les passants en longues barres. Tout le côté de l’Arc de Triomphe est encore inondé d’une rouge lumière boréale, l’autre déjà d’un violet de deuil épaissi d’ombre vers les bords. C’est par là que roule la lourde voiture aux armes d’Illyrie. Au tournant de la rue de Castiglione, la reine re-