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— Non, presque jamais.

— C’est bien… rhabille-toi, mon petit homme.

Il s’enfonce dans son grand fauteuil, tout pensif, tandis que l’enfant, après avoir remis son velours bleu et ses fourrures, va reprendre sa place tout au fond sans qu’on le lui dise. Depuis un an il est tellement habitué à ces mystères, à ces chuchotements autour de son mal, qu’il ne s’en inquiète même plus, n’essaye pas de comprendre, s’abandonne. Mais la mère, quelle angoisse, quel regard au médecin !

— Eh bien ?

— Madame, dit Bouchereau tout bas, scandant chaque mot, votre enfant est en effet menacé de perdre la vue. Et pourtant… si c’était mon fils je ne l’opérerais pas… Sans bien m’expliquer encore cette petite nature, j’y constate d’étranges désordres, un ébranlement de tout l’être, surtout le sang le plus vicié, le plus épuisé, le plus pauvre…

— Du sang de roi ! gronde Frédérique, brusquement levée avec un éclat de révolte. Elle vient de se rappeler, de voir tout à coup dans son petit cercueil chargé de roses la pâle figure de son premier-né. Bouchereau, debout aussi, subitement éclairé par ces trois mots, reconnaît la reine d’Illyrie qu’il n’a jamais vue, puisqu’elle ne va nulle part, mais dont les portraits sont partout.