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LES ROIS EN EXIL

vers l’impassible Bouchereau faisant son apparition régulière. L’homme de Valenton se désole en songeant qu’ils rentreront en pleine nuit, que sa femme sera inquiète, que le petit aura froid. Son chagrin est si vif, s’exprime tout haut avec une naïveté si touchante, que lorsque après cinq mortelles heures la mère et son enfant voient venir leur tour de passer, ils cèdent leur place au brave Raizou. « Oh ! merci, madame… » Son effusion n’a pas le temps d’être gênante, car la porte vient de s’ouvrir. Vite, il prend son fils, le soulève, lui donne sa béquille, si troublé, si ému, qu’il ne voit pas ce que la dame glisse dans la main du pauvre estropié : « Pour vous… pour vous… »

Oh ! que la mère et l’enfant la trouvent longue cette dernière attente, augmentée de la nuit qui vient, de l’appréhension qui les glace ! Enfin leur tour arrive ; ils entrent dans un cabinet très vaste, tout en longueur, éclairé par une large et haute fenêtre qui ouvre sur la place et garde encore du jour, malgré l’heure avancée. La table de Bouchereau est là devant, très simple, un bureau de médecin de campagne ou de receveur de l’enregistrement. Il s’y assied, le dos tourné à la lumière qui frappe les nouveaux venus, cette femme dont le voile relevé montre un visage énergique et jeune, au teint éclatant, aux yeux fatigués de veilles dou-