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ment, un peu de vie dans le salon, puis tout redevient morne et immobile.

Depuis qu’elle est entrée, la mère n’a pas dit un mot, pas levé son voile, et il se dégage de son silence, peut-être de sa mentale prière, quelque chose de si imposant, que le paysan n’ose plus lui adresser la parole, reste muet aussi, pousse de gros soupirs. À un moment on le voit tirer de sa poche, d’une foule de poches, une petite bouteille, un gobelet, un biscuit dans du papier qu’il développe lentement, précieusement, pour faire une « trempette » à son garçon. L’enfant mouille ses lèvres, puis repousse le verre et le biscuit : « Non… non… je n’ai pas faim…. » Et devant cette pauvre figure tirée, si lasse, Raizou pense à ses trois aînés qui n’avaient jamais faim non plus. Ses yeux se gonflent, ses joues tremblent à cette idée, et tout à coup : « Bouge pas, m’ami… Je vas voir si la carriole est en bas. » Voilà bien des fois qu’il descend pour s’assurer que la carriole stationne toujours au ras du trottoir, sur la place ; et quand il remonte, souriant, épanoui, il s’imagine qu’on ne voit pas ses yeux rougis, ses joues violettes à force d’être essuyées, tamponnées à gros coups de poing pour rentrer des larmes.

Les heures passent, lentes et tristes. Dans le salon qui s’assombrit les figures paraissent plus pâles, plus nerveuses, se tournent suppliantes