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LES ROIS EN EXIL

jeté un matelas sur les bancs de la carriole, et ils sont venus voir Bouchereau.

Il dit tout cela d’un ton posé, avec le lambinage des gens de campagne, et pendant que sa voisine l’écoute attendrie, les deux petits infirmes s’examinent curieusement, rapprochés par la maladie qui leur donne à tous deux, au petit en blouse et cache-nez de laine, comme à l’enfant couvert de fourrures fines, une ressemblance mélancolique… Mais un frisson court dans la salle, du rouge monte aux pâleurs, toutes les têtes tournées vers une haute porte derrière laquelle s’entend un bruit de pas, de sièges remués. Il est là, il vient d’arriver. Les pas se rapprochent. Dans l’entre-bâillure de la porte ouverte brusquement, paraît un homme de taille moyenne, trapu, carré d’épaules, le front dénudé, les traits durs. D’un regard qui se croise avec tant d’autres regards anxieux, il a fait le tour du salon, scruté ces douleurs anciennes ou récentes. Quelqu’un passe, le battant se referme. « Il ne doit pas être commode, » dit Raizou à demi-voix, et pour se rassurer il regarde tout ce monde qui passera avant lui à la consultation. Une vraie foule et de longues heures d’attente marquées par le timbre traînard, retentissant, de la vieille pendule provinciale surmontée d’une Polymnie, et les rares apparitions du docteur. À chaque fois une place est gagnée ; il y a un mouve-