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LES ROIS EN EXIL

porte du grand médecin, un hypnotisme rompu seulement par quelque soupir, une toux, une jupe qu’on ramène, une plainte étouffée, ou le carillon de la sonnette annonçant à chaque instant un nouveau malade. Parfois celui-ci, en ouvrant la porte et voyant tout rempli, la referme bien vite avec effroi, puis après un colloque, un court débat, rentre enfin résigné à attendre. C’est que chez Bouchereau les tours de faveur n’existent pas. Il ne fait d’exception que pour ceux de ses confrères de Paris ou de la province qui lui amènent un client. Ceux-là seuls ont le droit de faire passer leur carte, d’être introduits avant leur tour. Ils se distinguent par un air familier, autoritaire, marchent à pas nerveux dans le salon, tirent leur montre, s’étonnent de voir qu’il est midi passé, et que rien ne bouge encore dans le cabinet de consultation. Du monde, encore du monde, et de toute sorte, depuis le lourd banquier obèse, qui, dès le matin, fait garder sa place sur deux chaises par un domestique, jusqu’au petit employé qui s’est dit : Ça coûtera ce que ça coûtera… Consultons Bouchereau… Toutes les toilettes, toutes les tenues, des chapeaux de visite et des bonnets de linge, de minces petites robes noires à côté de brillants satins ; mais l’égalité reste dans les yeux rougis de larmes, les fronts inquiets, les transes et les tristesses qui hantent un salon de grand consultant à Paris.