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une minute d’hallucinations, l’enclos de Rey, toute sa jeunesse flottant dans une mémoire qui s’embrumait déjà…

Tout à coup la porte s’entr’ouvre avec un chuchotement d’étoffes et de voix. Il pense que c’est une voisine, quelque bonne fille du Rialto qui apporte à boire à sa fièvre. Bien vite il ferme les yeux ; toujours ce sommeil qui renvoie les importuns. Mais des petits pas indécis s’approchent sur le carreau froid de la chambre. Une voix douce murmure : « Bonjour, monsieur Élisée. » Son élève est devant lui, craintif, un peu grandi, regardant avec sa timidité d’infirme le maître changé, si pâle dans ce pauvre lit. Là-bas, contre la porte, une femme attend, droite et fière, sous son voile. Elle est venue, elle a monté les cinq étages, l’escalier plein d’un bruit de débauche, frôlé de sa robe immaculée les portes aux écriteaux raccrocheurs : « Alice… Clémence… » Elle n’a pas voulu qu’il meure sans revoir son petit Zara ; et n’entrant pas elle-même, elle lui envoie son pardon par la petite main de l’enfant. Cette main, Élisée Méraut la prend, la serre sur ses lèvres ; puis, tourné vers l’auguste apparition qu’il devine à son seuil, avec son dernier souffle, son dernier effort de vie, de parole, il dit tout bas et pour jamais : « Vive le roi ! »