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LES ROIS EN EXIL

pupitres en fer forgé. Des fauteuils en cercles formaient des « apartés » aristocratiques. Des rubans, des débris de fleurs, de la gaze fanée et légère, vraie poussière de danse, jonchaient les parquets. On sentait que les décorateurs avaient détaché vivement les tentures, les guirlandes de feuillage, et s’étaient hâtés de refermer portes et fenêtres sur ces salons qui parlaient de fête dans une maison en deuil. Le même abandon se voyait à travers le jardin encombré de feuilles. mortes, sur lequel l’hiver avait passé, puis un printemps sans culture, riche en folles herbes envahissantes. Par une de ces bizarreries de la douleur qui veut qu’autour d’elle tout souffre et se stérilise, le duc n’avait pas permis qu’on y touchât, pas plus qu’il ne consentait à habiter son magnifique appartement.

Depuis l’affaire de Gravosa, comme Colette, très souffrante des suites de ses couches, était allée se remettre à Nice avec son petit W., il avait renoncé à ses retours solitaires au quai d’Anjou et se faisait dresser un lit dans l’intendance. Évidemment il vendrait l’hôtel un jour ou l’autre et commençait à se défaire des somptueuses antiquailles qui l’encombraient. C’est pour cela que les glaces de Venise endormies en reflétant les couples amoureux des mazourkes hongroises, l’étincellement des prunelles et des lustres, miraient aujourd’hui,