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LES ROIS EN EXIL

— C’est donc vous, Père Melchior ?… Pas de veine !… J’ai cru qu’on m’apportait une lettre chargée… Entrez tout de même, mes révérends, soyez les bienvenus… vous vous assiérez si vous pouvez.

C’était en effet, sur tous les meubles, des écroulements de livres, de journaux, de revues, habillant et cachant la sordide convention d’un garni de dix-huitième ordre, son carreau dérougi, son divan crevé, l’éternel secrétaire empire et les trois chaises en velours mort. Sur le lit, des papiers d’imprimerie confondus avec des vêtements et la mince couverture brune, des liasses d’épreuves que le maître du logis, encore couché, sabrait à grands coups de crayon de couleur. Ce misérable intérieur de travail, la cheminée sans feu, la nudité poudreuse des murs, étaient éclairés par le jour des toits voisins, le reflet d’un ciel pluvieux sur des ardoises lavées ; et le grand front de Méraut, sa face bilieuse et puissante, en recevaient l’éclat intelligent et triste qui distingue certains visages qu’on ne rencontre qu’à Paris.

— Toujours mon taudis, vous voyez, Père Melchior !… Que voulez-vous ? Je suis descendu ici à mon arrivée, il y a dix-huit ans. Depuis, je n’en ai plus bougé… Tant de rêves, d’espoirs enterrés dans tous les coins… des idées que je retrouve sous de vieilles poussières… Je suis sûr que si je quittais cette