Page:Daudet – Les Rois en exil – Éditons Lemerre.djvu/422

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Oh ! quelle émotion, lorsque la petite porte de l’avenue tourna dans ses lierres et que Méraut se retrouva à cette place du jardin où sa vie restait foudroyée !

— Attendez-moi, dit le conseiller tout tremblant, je viendrai vous prévenir quand les domestiques seront à table… De cette façon vous ne rencontrerez personne dans l’escalier…

On n’était plus revenu vers le tir depuis la journée fatale. Dans les bordures écrasées, dans le sable piétiné par des courses folles, la scène se mouvementait encore. Les mêmes cartons mouchetés pendaient aux palissades, l’eau coulait du bassin comme une source de larmes jaillissantes, grises sous l’heure triste du crépuscule, et il semblait à Élisée entendre la voix de la reine sanglotante aussi, et ce « va-t’en… va-t’en… » qui lui donnait à l’écouter en souvenir la sensation d’une blessure et d’une caresse. Boscovich revenu, ils se glissèrent le long des massifs jusqu’à la maison. Dans la galerie vitrée ouvrant sur le jardin, qui servait de salle d’étude, les livres rangés sur la table, les chaises du maître et de l’élève préparées, attendaient la leçon prochaine avec l’inertie cruelle des choses. C’était poignant ainsi que le silence des endroits où l’enfant manque, chantonnant, courant, traçant dix fois par jour son orbe étroit en rires et en chansons.