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si malheureux, les joueurs de boules, et l’employé de la station du tramway enfermé dans sa petite baraque de bois, le tiennent pour un peu fou ; et vraiment son désespoir tourne à la manie. Ce n’est pas l’amoureux qui souffre en lui. La reine a bien fait de le chasser, il ne méritait que cela, et la passion disparaît devant le grand désastre de ses espérances. Avoir rêvé de faire un roi, s’être donné cette superbe tâche, et tout anéantir, tout briser de ses propres mains ! Le père et la mère, plus atteints dans leurs tendresse, n’étaient pas plus désespérés que lui. Il n’avait même pas cette consolation des soins donnés, de la sollicitude à toute heure, pouvait à peine se procurer quelques nouvelles, les domestiques lui gardant une noire rancune de l’accident. Pourtant un brigadier de la forêt, ayant accès dans la maison, lui racontait les bruits de l’office, grossis par ce besoin du sinistre qu’ont les gens du peuple. Tantôt le petit roi était aveugle, tantôt atteint d’un transport au cerveau, on disait la reine décidée à se laisser mourir de faim ; et le triste Élisée vivait une journée sur ces rumeurs désolantes, errait par le bois, tant que ses jambes pouvaient le porter, puis revenait guetter vers la lisière, dans une herbe haute et fleurie, ravagée le dimanche de promeneurs, mais déserte en semaine, un vrai coin champêtre.