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essayer son arme, et, par une fatalité épouvantable, la balle ricochant sur quelque ferrure du treillage… Mais la reine ne l’écoutait pas. Sans un cri, sans une plainte, toute à son instinct de mère, de sauveteur, elle saisissait l’enfant, l’emportait dans sa robe, vers le bassin ; puis, repoussant du geste les gens de la maison qui s’empressaient pour l’aider, elle appuya au rebord de pierre son genou sur lequel s’allongeait le corps inerte du petit roi, tint sous la vasque débordante la pâle figure adorée où les cheveux blonds se plaquaient sinistrement, ruisselaient jusqu’à la paupière bleuie et cette sinistre tache rouge que l’eau emportait, qui filtrait, toute petite, toujours plus rouge, entre les cils. Elle ne parlait pas, elle ne pensait pas même. Dans sa toilette de batiste froissée, inondée, collant à son beau corps comme à une naïade de marbre, elle était là penchée sur son petit et guettant. Quelle minute ! quelle attente !… Peu à peu, ranimé par l’immersion, le blessé tressaillit, étendit ses membres comme pour un réveil et, tout de suite, se prit à gémir.

« Il vit !… » dit-elle avec un cri d’ivresse. Alors, en levant la tête, elle aperçut en face d’elle Méraut dont la pâleur, l’abattement, semblaient demander grâce. Le souvenir de ce qui s’était passé sur le banc lui revint, mêlé à la terrible surprise de la catastrophe, à sa fai-