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LES ROIS EN EXIL

Rialto », sans doute parce que le service était fait par des demoiselles en coiffures vénitiennes.

— M. Élisée est-il sorti ? demanda l’un des Pères en passant au premier étage devant le bureau de l’hôtel.

Une grosse femme, qui avait dû rouler dans bien des garnis avant d’en tenir un pour son compte, répondit paresseusement de sa chaise et sans même consulter la rangée de clefs tristement alignées au casier :

— Sorti, à c’te heure !… Vous feriez ben mieux de demander s’il est rentré !…

Puis un coup d’œil aux robes de bure la faisait changer de ton, et elle indiquait, dans le plus grand trouble, la chambre d’Élisée Méraut :

— Numéro 36, au cinquième, au fond du couloir.

Les franciscains montaient, erraient parmi d’étroits corridors encombrés de bottes crottées et de bottines à hauts talons, grises, mordorées, fantaisistes, luxueuses ou misérables et qui en racontaient long sur les mœurs de « l’habitant » ; mais ils n’y prenaient pas garde, les balayaient au passage avec leurs jupes rudes et la croix de leurs grands chapelets, et s’émurent à peine quand une belle fille, vêtue d’un jupon rouge, la gorge et les bras nus dans un pardessus d’homme, traversa le palier du troisième étage, se pencha sur la rampe