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LES ROIS EN EXIL

dresse, de reconnaissance, rappelant du passé la minute où dans la fête de Vincennes elle s’était appuyée à la force d’Élisée, la reine, comme ce jour-là, ferma les yeux, s’abandonna délicieusement en pensée sur ce grand cœur si dévoué qu’elle croyait sentir battre contre elle.

Soudain, après un coup de feu qui fit envoler les oiseaux dans le feuillage, un grand cri, un de ces cris d’enfant comme les mères en entendent en rêve pendant leurs nuits troublées d’inquiétudes, un terrible appel de détresse assombrit tout le ciel, élargit, transforma le jardin à la mesure d’une douleur immense. Des pas précipités s’entendirent dans les allées ; la voix du précepteur, rauque, changée, appelait, là-bas, près du tir. Frédérique y fut d’un bond.

C’était, dans une ombre verte de charmille, un fond de parc tapissé de houblons, de glycines et de la haute floraison des terres un peu grasses. Des cartons pendaient au treillage, percés de petits trous réguliers et cruels. Elle vit son enfant à terre, sur le dos, sans mouvement, la figure blanche, rougie vers l’œil droit qui, fermé, blessé, laissait perler quelques gouttes de sang comme des larmes. Élisée, à genoux près de lui, dans l’allée, criait, se tordait les bras : « C’est moi !… c’est moi !… » Il passait… Monseigneur avait voulu lui faire