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Au milieu de ce calme, la Reine revint à elle, d’abord par un mouvement de colère, de révolte. Elle se sentait atteinte, outragée par ce regard… Était-ce possible ? Ne rêvait-elle pas ?… Elle, la fière Frédérique, qui, dans l’éblouissement des fêtes de cour, dédaigna jadis tant d’hommages à ses pieds, et des plus nobles, des plus illustres, elle qui gardait si haut la fierté de son cœur, l’abandonner à un homme de rien,. à ce fils du peuple ! Des larmes d’orgueil lui brûlaient les yeux. Et dans le trouble de ses idées, une parole prophétique du vieux Rosen bourdonnait tout bas à son oreille : « La bohème de l’exil… » Oui, l’exil seul avec ses promiscuités déshonorantes avait pu permettre à ce subalterne… Mais, à mesure qu’elle l’accablait de ses mépris, le souvenir des services rendus l’assaillait. Que seraient-ils devenus sans lui ? Elle se rappelait l’émotion de leur première rencontre, comme elle s’était sentie revivre en l’écoutant. Depuis, pendant que le roi courait à ses plaisirs, qui donc avait pris la direction de leurs destinées, réparé les maladresses et les crimes ? Et ce dévouement infatigable de chaque jour, tant de talent, de verve, tout ce beau génie s’appliquant à une tâche d’abnégation, sans profit, sans gloire ! Le résultat, c’était ce petit roi, vraiment roi, dont elle était si fière, le futur maître de l’Illyrie… Alors, prise d’un invincible élan de ten-