Page:Daudet – Les Rois en exil – Éditons Lemerre.djvu/377

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
372
LES ROIS EN EXIL

nèbres en songeant à ma Colette ; et quand je me hausse jusqu’à notre soupirail, ce pays admirable, la route qui descend de Raguse à Gravosa, les aloès, les cactus sur le ciel ou la mer bleue, tout me rappelle notre voyage de noce, la corniche de Monaco à Monte-Carlo et le grelot des mules menant notre bonheur tintant et léger comme lui. Ô ma petite femme, comme tu étais jolie, chère voyageuse avec qui j’aurais voulu faire route plus longtemps…

« Tu vois que partout ton image demeure et triomphe, au seuil de la mort, dans la mort même ; car je veux la tenir en scapulaire sur ma poitrine, là-bas, à la porte de Mer, où l’on doit nous mener dans quelques heures, et c’est ce qui me permettra de tomber en souriant. Aussi, mon amie, ne te désole pas trop. Pense au petit, pense à l’enfant qui va naître. Garde-toi pour lui, et lorsqu’il pourra comprendre, dis-lui que je suis mort en soldat, debout, avec deux noms sur mes lèvres, le nom de ma femme et celui de mon roi.

« J’aurais voulu te laisser un souvenir du dernier moment, mais on m’a dévalisé de tout bijou, montre, alliance, épingle. Je n’ai plus rien qu’une paire de gants blancs que je destinais à l’entrée à Raguse. Je les mettrai tout à l’heure pour honorer le supplice ; et l’aumônier de la prison m’a bien promis de te les envoyer après.