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« Et pourtant, avant de te quitter pour toujours, il faut bien que je te fasse comprendre une bonne fois que je n’ai jamais aimé que toi au monde, que ma vie a commencé seulement du jour où je t’ai connue. Te rappelles-tu, Collette ? C’était dans les magasins de la rue Royale, chez ce Tom Lévis. On se trouvait là par hasard, censé. Tu as essayé un piano ; tu as joué, tu as chanté quelque chose de très gai qui, sans. que je sache pourquoi, m’a donné envie de pleurer tout de suite. J’étais pris… Hein ? Qui nous aurait dit ça ? Un mariage à la Parisienne, un mariage par les agences devenu mariage d’amour ! Et depuis, dans le monde, dans aucun monde, je n’ai rencontré de femme aussi séduisante que ma Colette. Aussi tu peux être tranquille, tu étais toujours là, même absente ; l’idée de ta jolie frimousse me tenait en belle humeur, je riais tout seul en y pensant. C’est vrai que tu m’as toujours inspiré cela, une envie de rire tendre… Tiens, en ce moment, notre situation est terrible, surtout la façon dont on nous la présente. Hézeta et moi, nous sommes en chapelle ; c’est-à-dire que, dans la petite cellule aux murs crépis, on a dressé un autel pour notre dernière messe, mis un cercueil devant chaque lit et pendu aux murs des écriteaux sur lesquels il y a écrit : « Mort… Mort… » Malgré tout, ma chambre me semble gaie. J’échappe à ces menaces fu-