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sauvant à toutes rames vers le steamer… Mais ça n’a pas duré longtemps. Hézeta le premier s’élance, le revolver au poing : « Avanti !… Avanti !… » Quelle voix ! Toute la plage en a retenti. Nous nous jetons derrière lui… Cinquante contre une armée !… Il n’y avait qu’à mourir. C’est ce que tous les nôtres ont fait avec un grand courage. Pozzo, de Mélida, le petit de Soris ton amoureux de l’an dernier, Henri de Trébigne qui me criait dans la bagarre : « Dis donc, Herbert, ça manque de guzlas !… » Et Jean de Véliko qui, tout en sabrant, chantait « la Rodoïtza » à pleine gorge, tous sont tombés, je les ai vus sur le rivage, couchés dans le sable et regardant le ciel. C’est là que le flot montant sera venu les ensevelir, les beaux danseurs de notre bal ! Moins heureux que nos camarades, le marquis et moi, seuls vivants dans cette grêle, nous avons été pris, roulés, ficelés, montés à Raguse à dos de mulet, ton Herbert hurlant de rage impuissante, pendant que Hézeta, très calme, disait : « C’était fatal… Je le savais !… » Drôle d’homme ! Comment pouvait-il savoir que l’on serait trahi, livré, reçu au débarquement par des fusils braqués et des paquets de mitraille ; et s’il le savait, pourquoi nous a-t-il conduits ? Enfin voilà, c’est un coup manqué, une partie à refaire en prenant plus de précautions.

« Je m’explique maintenant par tes chères