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LES ROIS EN EXIL

gestes, et, quand une jolie fille passe, de pouvoir retourner la tête sans que l’Europe en soit ébranlée… C’est le bénéfice de l’exil… Quand je suis venu il y a huit ans, je n’ai vu Paris que des fenêtres des Tuileries, du haut des carrosses de gala… Cette fois, je veux tout connaître, aller partout… Sapristi ! mais j’y pense… je te fais marcher, marcher, et tu boîtes, mon pauvre Herbert…Attends, nous allons arrêter une voiture.

Le prince voulut protester. Sa jambe ne lui faisait aucun mal. Il se sentait de force à aller jusque là-bas. Mais Christian tint bon :

— Non, non, je ne veux pas que mon guide soit fourbu dès le premier soir.

Il héla un maraudeur qui roulait vers la place de la Concorde avec un bruit de ressorts faussés et des claquements de fouet sur l’échine osseuse de sa bête, sauta légèrement, s’installa, en se frottant les mains avec une joie d’enfant, sur le vieux drap bleu des coussins.

— Où allons-nous, mon prince ? dit le cocher sans se douter qu’il avait parlé si juste.

Et Christian d’Illyrie répondit d’une voix triomphante de collégien émancipé :

— À Mabille !