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LES ROIS EN EXIL

ces paroles d’outre-tombe écrites en pleine vie.

— Oui, c’est bien ennuyeux…, dit Séphora, comme quelqu’un qui pense à autre chose. Mais il se croyait tellement aimé, il était si habitué à l’être, qu’il ne prenait pas garde à ses distractions. Même il la consolait d’avance en cas d’un malheur, lui traçait un plan d’existence ; il faudrait vendre l’hôtel, se retirer à la campagne, où elle vivrait avec ses souvenirs. Tout cela adorablement fat, et naïf, et sincère ; car il se sentait au cœur une tristesse d’adieu qu’il prenait pour des pressentiments de mort. Et tout bas, leurs mains enlacées, il lui parlait de vie future. Il avait au cou une petite médaille de la Vierge, qui ne le quittait jamais ; il la détacha pour elle. Vous pensez si Séphora était heureuse !…

Bientôt un campement d’artillerie, dont on apercevait entre les branches les tentes grises alignées, les fumées légères, les chevaux débridés, entravés pour la nuit, donnait un autre cours aux idées du roi. Les allées et venues d’uniformes, les corvées, toute cette activité en plein air dans une lumière de couchant, cet aspect réconfortant du soldat en campagne, réveillaient ses instincts de race nomade et guerrière. La voiture, roulant sur les mousses en tapis vert de l’immense avenue, faisait relever la tête aux soldats occupés à l’installation des tentes ou à la fabrication de la soupe ; ils