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LES ROIS EN EXIL

tude de ce départ de nuit, le roi ne put s’empêcher de penser à Séphora, aux tendres reconduites à la gare Saint-Lazare. Sous l’influence de ce souvenir, une femme qui passait attira son regard : la même taille, un rien de cette honnête et coquette démarche…

Pauvre Christian, pauvre roi malgré lui !

Enfin le voici monté dans un wagon dont Lebeau vient de lui ouvrir la portière, — le wagon de tout le monde, pour ne pas attirer les soupçons. Il se jette dans un coin, avec la hâte d’en finir, d’être loin. Ce lent arrachement lui est très pénible. Au coup de sifflet, le train s’ébranle, s’étire, tressaute bruyamment sur des ponts traversant les faubourgs endormis, piqués de réverbères en ligne, s’élance en pleine campagne. Christian II respire, il se sent fort, sauvé, à l’abri ; il fredonnerait presque s’il était seul dans son wagon. Mais là-bas, à l’autre vitre, une petite ombre enfouie dans du noir se rencoigne, se rapetisse, avec la visible volonté de ne pas appeler l’attention. C’est une femme. Jeune, vieille, laide, jolie ? Le roi, — affaire d’habitude, — jette un regard de ce côté. Rien ne bouge que les deux ailes d’une petite toque qui se renversent, ont l’air de se replier pour le sommeil. « Elle dort… faisons comme elle… » Il s’allonge, s’enveloppe d’une couverture, regarde encore vaguement dehors des silhouettes d’arbres et de