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LES ROIS EN EXIL

sion de l’histoire des ânesses, racontée tout au long dans un journal du matin. La feuille circulait de main en main, et tous avaient en la lisant ce rire éreinté, ce rire de ventre des gens qui n’en peuvent plus.

— Est-ce qu’on fait la fête ce soir ? demandaient ces jeunes gentilshommes, en absorbant des sodas, des eaux de régime dont le club tenait tout un dépôt.

Séduit par leur entrain, le roi se laissa aller à dîner avec eux au café de Londres, non pas dans un de ces salons dont les tentures connues avaient dansé dix fois devant leur ivresse, dont les glaces portaient leurs noms, écrits, croisés, brouillés comme un givre hivernal sur les vitres, mais dans les caves, ces admirables catacombes de fûts et de bouteilles alignant leurs casiers réguliers, étiquetés en porcelaine, jusque sous le théâtre de l’Opéra-Comique. Tous les crus de France dormaient là. On avait dressé la table, au fond, dans les château-yquem qui rayonnaient doucement, leurs bouteilles couchées et glauques, pailletées par les reflets du gaz et des girandoles de verres de couleur. Une idée de Wattelet qui voulait marquer d’un repas original le départ de Christian II, connu de lui seul et du prince. Mais l’effet fut manqué par l’humidité des murs et des plafonds qui pénétra bientôt les convives fatigués de la nuit précédente. Queue--