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laissa passer plusieurs voitures. Ce fut un rappel à la raison. Comment était-il venu là, et si vite ?… L’hôtel Potnicki dressait dans un couchant vaporeux ses deux clochetons de castel parisien, son moucharabie voilé en alcôve… Quelle tentation !… Pourquoi n’irait-il pas jusque-là, pourquoi ne verrait-il pas une dernière fois cette femme qui allait rester dans sa vie avec la mémoire sèche, altérante, d’un désir incontenté ?

Enfin, après un terrible débat d’une minute, l’incertitude très visible dans le balancement en roseau de tout ce faible corps, il prit un parti héroïque, sauta dans une voiture découverte qui passait et donna l’adresse du club. Jamais il n’aurait eu ce courage, sans le serment fait à Dieu, le matin, pendant la messe. Pour cette âme pusillanime de femme catholique, cela emportait tout.

Au club, il trouva la lettre de Séphora, qui, rien que par l’odeur musquée du papier, lui communiqua la fièvre dont elle ardait. Le prince lui apporta l’autre missive, quelques phrases hâtées, implorantes, d’une écriture que les livres de Tom n’avaient jamais connue. Mais ici Christian II, entouré, soutenu, regardé, se sentait plus fort, étant de ceux à qui la galerie compose une attitude. Il chiffonna les lettres au fond de sa poche. La belle jeunesse du club arrivait, encore sous l’impres-