Page:Daudet – Les Rois en exil – Éditons Lemerre.djvu/342

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

blement assise, toute rose dans le reflet des stores, comme jadis à la fenêtre bourgeoise du family. Jamais Christian n’arrivait avant deux heures ; mais à partir de ce moment commença une angoisse toute nouvelle chez cette nature placide, l’attente, — d’abord frémissant à peine, comme une ride sur l’eau qui bout, puis fiévreuse, agitée, bourdonnante. Les voitures étaient rares à cette heure sur l’avenue tranquille, inondée de soleil entre sa double rangée de platanes et d’hôtels neufs aboutissant à la grille dorée, aux lampadaires traversés de rayons du parc Monceau. Au moindre roulement de roues, Séphora écartait le store pour mieux voir, et son attente chaque fois déçue s’irritait de cette sérénité luxueuse du dehors, de ce calme provincial.

Qu’était-il donc arrivé ? Est-ce que vraiment il partirait sans la voir ?

Elle cherchait des raisons, des prétextes ; mais quand on attend, tout attend, l’être entier reste en suspens, et les idées, flottantes, décousues, ne s’achèvent pas plus que les paroles balbutiant au bord des lèvres. La comtesse sentait ce supplice, et cet évanouissement du bout des doigts, où tous les nerfs se tendent et défaillent. De nouveau elle soulevait le store de coutil rose. Un vent tiède agitait les branches en panaches verts, une fraîcheur montait de la chaussée que les tuyaux d’arrosage inondaient