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fronts renversés, boucles flottantes, chaque couple se croyant seul, enfermé, étourdi dans les ronds enlacés et magiques d’une valse de Brahms ou d’une mazourka de Chopin.

Quelqu’un de bien vibrant aussi, de bien ému, c’était Méraut, en qui le chant des guzlas, tour à tour d’une douceur ou d’une énergie sauvage, avait éveillé l’humeur bohème, aventureuse, qui est au fond de tous les tempéraments de soleil, une envie folle de s’en aller loin par des chemins inconnus vers la lumière, l’aventure, la bataille, d’exécuter quelque action fière et vaillante pour laquelle les femmes l’admireraient. Lui qui ne dansait pas, qui ne se battrait pas non plus, la griserie de ce bal héroïque l’envahissait ; et de songer que toute cette jeunesse allait partir, donner son sang, courir les belles et dangereuses tristesse équipées,tandis qu’il restait avec les vieillards, les enfants, de songer qu’ayant organisé la croisade il la laisserait s’engager sans lui, cela lui causait une tristesse, une gêne inexprimable. L’idée avait honte devant l’action. Et peut-être aussi qu’à ce navrement, à ce goût de mourir que lui versaient les chansons et les danses slaves, la fierté rayonnante de Frédérique au bras de Christian n’était pas étrangère. Comme on la sentait heureuse de retrouver enfin le roi, le guerrier, dans son mari !… Haïkouna, Haïkouna, au cliquetis des armes, tu peux tout oublier,