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LES ROIS EN EXIL

en peine de vous prévenir… Depuis dix jours, je cours les routes… cinq cents lieues sans respirer, sans débrider…. Et pas même moyen d’écrire une lettre, surveillé que j’étais par un affreux moine, un Père franciscain qui sent le poil de bête et joue du couteau comme un bandit… Il épiait tous mes mouvements, ne m’a pas lâché de l’œil une minute, sous prétexte qu’il ne savait pas assez de français pour aller seul et se faire entendre… La vérité, c’est qu’on se défie de moi à Saint-Mandé et qu’on a profité de mon absence pour manigancer une grosse affaire…

— Quoi donc ?… demandent tous les yeux.

— Il s’agit, je crois, d’une expédition en Dalmatie… C’est ce diable de Gascon qui leur a monté la tête… Oh ! je le disais bien qu’il aurait fallu se débarrasser de celui-là tout d’abord…

On a beau se cacher de lui, le valet de chambre a flairé depuis quelque temps des préparatifs en l’air, des lettres qui partent à toute heure, des conciliabules mystérieux. Un jour, en ouvrant un album d’aquarelles que cette petite folle de Rosen avait laissé traîner, il a vu des projets d’uniformes, de costumes dessinés par elle, volontaires illyriens, dragons de la foi, chemises bleues, cuirassiers du bon droit. Un autre jour, il a surpris entre la princesse et madame de Silvis une grave discussion sur la