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terne égyptienne avec Mora ? demande le père Leemans dégustant son café à petits coups ; et il entame pour la centième fois, — ainsi les vieux guerriers leur campagne favorite, — l’histoire de cette lanterne qu’un Levantin dans l’embarras lui cédait pour deux mille francs et qu’il revendit le même jour quarante mille au président du conseil, avec une double commission, cinq cents du Levantin et cinq mille du duc. Mais ce qui fait le charme du récit, ce sont les ruses, les détours, la façon de monter la tête au client riche et vaniteux. « Oui, sans doute, une belle pièce, mais trop chère, beaucoup trop chère… Je vous en prie, monsieur le duc, laissez faire cette folie à un autre… Je suis bien sûr que les Sismondo… Ah ! dame, c’est un joli travail, cet entourage en petites châsses, cette chaîne ciselée… » Et le vieux, s’animant aux rires qui secouent la table, feuillette sur la nappe un petit agenda rongé des bords dans lequel son inspiration s’alimente à l’aide d’une date, d’un chiffre, d’une adresse. Tous les amateurs fameux sont classés là comme les fiancées à forte dot sur le grand livre de M. de Foy, avec leurs particularités, leurs manies, les bruns et les blonds, ceux qu’il faut rudoyer, ceux qui ne croient à la valeur d’un objet que s’il coûte très cher, l’amateur sceptique, l’amateur naïf auquel on peut dire en lui vendant une panne : « Et vous