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LES ROIS EN EXIL

le père Leemans, qui lui fournit en outre tout son vocabulaire artistique, bien surprenant dans la bouche de ce soudard maquillé, au mieux avec la jeune Gomme et toute la cocotterie du quartier de l’Opéra très nécessaire à ses trafics.

De l’autre côté du patriarche Leemans, Séphora et son mari, leurs chaises et leurs verres rapprochés, jouent aux amoureux. Ils se voient si rarement depuis le commencement de l’affaire ! J. Tom Lévis, qui, pour tout le monde, est à Londres, vit enfermé dans sa châtellenie de Courbevoie, pêche à la ligne tout le jour faute de dupes à amorcer, ou s’occupe à faire aux Spricht des farces épouvantables. Séphora, plus tenue qu’une reine espagnole, attendant le roi à toute heure, cérémonieuse et harnachée, mène la haute vie demi-mondaine, si remplie et si peu amusante que ces dames presque toujours se mettent à deux pour en supporter les longues promenades vides ou les loisirs écœurants. Mais la comtesse de Spalato n’a pas son double par la ville. Elle ne peut fréquenter les filles ni les déclassées du monde interlope ; les femmes honnêtes ne la voient pas, et Christian II ne saurait supporter autour d’elle ce tourbillon d’oisifs qui composent les salons où ne viennent que des hommes. Aussi reste-t-elle toujours seule dans ses boudoirs aux plafonds peints, aux glaces enguirlandées