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— Ah ! Corot !… dit Pichery, fermant ses yeux de poisson mort, avec une admiration béate ; puis, tout à coup, changeant de ton : « J’ai justement votre affaire… » et, sur un grand chevalet, roulé en face de lui, il montre un fort joli Corot, un matin tout tremblant de brumes argentées et de danses de nymphes sous les saules. Le gandin met son monocle, fait semblant d’admirer :

— Chic !… très chic !… Combien ?

— Cinquante mille francs, dit Pichery sans sourciller. L’autre ne sourcille pas non plus.

— À trois mois ?

— À trois mois… avec des garanties.

Le gandin fait son billet, emporte le tableau chez lui ou chez sa maîtresse, et pendant tout un jour il se donne la joie de dire au cercle, sur le boulevard, qu’il vient d’acheter « un Corot épatant. » Le lendemain, il passe son Corot à l’Hôtel des Ventes, où Pichery le fait racheter par le père Leemans à dix ou douze mille francs, son prix véritable. C’est de l’usure à un taux exorbitant, mais de l’usure permise, sans dangers. Pichery, lui, n’est pas tenu de savoir si l’amateur achète ou non sérieusement. Il vend son Corot très cher, « cuir et poils », comme on dit dans ce joli commerce ; et c’est son droit, car la valeur d’un objet d’art est facultative. De plus il a soin de ne livrer que de la marchandise authentique, expertisée par