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LES ROIS EN EXIL

discussions très montées aussi, dans l’argot des bas tripotages d’argent.

Depuis que le « Grand Coup » s’apprête, ces dîners à la brocante sont fréquents. Il est bon pour ces affaires en compte à demi de se voir souvent, de se concerter ; et nulle autre part on ne le ferait aussi sûrement qu’au fond de cette petite rue Eginhard perdue dans le passé du vieux Paris. Ici, du moins, on peut parler haut, discuter, combiner… C’est que le but est proche. Dans quelques jours, comment ! dans quelques heures, la renonciation va être signée, et l’affaire qui a dévoré déjà tant d’argent commencera en à rapporter beaucoup. La certitude d’une réussite allume les yeux et la voix des convives d’une allégresse dorée, fait la nappe plus blanche, le vin meilleur. Un vrai dîner de noce présidé par le père Leemans et Pichery, son inséparable, — une tête de bois roide et pommadée à la hongroise au-dessus d’un col de crin, quelque chose de militaire et de pas franc, l’aspect d’un officier dégradé. Profession : usurier en tableaux, métier neuf, compliqué, bien approprié aux manies d’art de notre temps. Quand un fils de famille est à sec, rasé, ratissé, il va chez Pichery, marchand de tableaux, somptueusement installé rue Laffitte.

— Avez-vous un Corot, un chouette Corot ?… je suis toqué de ce peintre-là.