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— Remarquez, d’ailleurs, que c’est une plaisanterie, cette signature… On nous rend nos biens, après tout, et je ne me considère nullement comme engagé… Qui sait ? Ces millions-là vont peut-être nous aider à reconquérir le trône.

La reine releva la tête impétueusement, le fixa une seconde à le faire loucher, puis haussant les épaules :

— Ne te fais donc pas plus vil que tu n’es… Tu sais bien qu’une fois signé… Mais non. La vérité, c’est que la force te manque, c’est que tu désertes ton poste de roi au moment le plus périlleux, quand la nouvelle société, qui ne veut plus ni Dieu ni maître, poursuit de sa haine les représentants du droit divin, fait trembler le ciel sur leurs têtes et le sol sous leurs pas. Le couteau, les bombes, les balles, tout est bon… On trahit, on assassine… En plein cortège de procession ou de fête, les meilleurs comme les pires, pas un de nous qui ne tressaille quand un homme se détache de la foule… Tout placet recouvre un poignard… En sortant de son palais, qui peut être sûr d’y rentrer ?… Et voilà l’heure que tu choisis, toi, pour t’en aller de la bataille…

— Ah ! s’il ne s’agissait que de se battre ! dit Christian II vivement… Mais lutter comme nous contre le ridicule, la misère, tout le fumier de la vie, sentir qu’on y enfonce chaque jour davantage…