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la fuite dans un carton de modiste ou qu’on expose sous un globe, comme des lauriers de comédien ou des fleurs d’oranger de concierge… Il faut bien vous persuader de ceci, Frédérique. Un roi n’est roi que sur le trône, le pouvoir en main ; tombé, moins que rien, une loque… Vainement nous nous attachons à l’étiquette, à nos titres, mettant de la Majesté partout, aux panneaux des voitures, à nos boutons de manchettes, nous empêtrant d’un cérémonial démodé. Tout cela, c’est hypocrisie de notre part, politesse et pitié chez ceux qui nous entourent, des amis, des serviteurs. Ici, je suis le roi Christian II, pour vous, pour Rosen, quelques fidèles. Sitôt dehors, je redeviens un homme pareil aux autres. M. Christian Deux… Pas même de nom, rien qu’un prénom… Christian, comme un cabotin de la Gaîté…

Il s’arrêta, à court d’haleine, ne se souvenant pas d’avoir parlé si longtemps debout… Des notes aiguës d’engoulevent, des trilles pressés de rossignols piquaient le silence de la nuit. Un gros phalène, qui s’était écourté les ailes aux lumières, allait se cognant partout. On n’entendait que cette détresse voletante et les sanglots étouffés de la reine, qui savait bien tenir tête aux colères, aux violences, mais que la raillerie, prenant à faux sa nature sincère, trouvait sans armes, comme un vaillant soldat qui s’attend aux coups droits et se sent harcelé