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LES ROIS EN EXIL

d’un crime. Que faire ? Comment l’empêcher ?… La reine seule… Mais pourrait-il arriver jusqu’à elle ?… Le fait est que la femme de chambre de service, madame de Silvis en pleins rêves féeriques, la reine elle-même, tout le monde crut à un feu subit menaçant l’hôtel endormi, quand Élisée demanda à parler à Sa Majesté. On entendit par les chambres un caquetage de femmes affairées, de volière éveillée avant l’heure. Enfin Frédérique parut dans le petit salon où le précepteur l’attendait, enveloppée d’un long peignoir bleu moulant des bras et des épaules admirables. Jamais Élisée ne s’était senti si près de la femme.

— Qu’y a-t-il ? demanda-t-elle très bas, très vite, avec ce clignement de paupières qui attend et voit venir le coup. Au premier mot, elle bondit :

« Cela ne se peut pas !… Cela ne sera pas, moi vivante !… »

La violence du mouvement ébranla les masses phosphorescentes de sa chevelure, et pour les rattacher d’un tour de main elle eut un geste tragique et libre qui fit glisser sa manche jusqu’au coude.

« Éveillez Son Altesse, » dit-elle à mi-voix dans l’ombre ouatée de la chambre voisine ; puis, sans ajouter une parole, elle monta chez le roi.