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LES ROIS EN EXIL

pointer, dans un groupe de gommeux qui le félicitent, le bout ciré des grandes moustaches de son Herbert venu au-devant d’elle, il faut qu’elle se retienne pour ne pas lui sauter au cou, là, devant tout le monde, tellement elle est convaincue qu’il a fait le siège de Raguse, écrit le Mémorial, que ces belles moustaches ne cachent pas une mâchoire d’imbécile. Et si le bon garçon est ravi, confus des ovations qu’on lui fait, des œillades qu’on lui adresse, — le noble Fitz-Roy vient de lui dire solennellement : « Quand vous voudrez, prince, vous serez des nôtres », — rien ne lui est plus précieux que l’accueil inespéré de sa Colette, l’abandon presque amoureux dont elle s’appuie à son bras, ce qui ne lui était pas arrivé depuis le jour de leur mariage et le défilé à grands coups d’orgue dans le chœur de Saint- Thomas-d’Aquin.

Mais la foule s’écarte, se découvre respectueusement. Les hôtes des tribunes descendent, toutes ces Majestés tombées qui vont rentrer dans la nuit après cette résurrection de quelques heures. Un vrai défilé d’ombres royales, le vieil aveugle appuyé sur sa fille, la Galicienne avec son beau neveu, un froissement d’étoffes raides comme sur le passage d’une madone péruvienne. Enfin la reine Frédérique, sa cousine et son fils. Le landau s’approche du perron ; elle y monte dans un frémissement admiratif et contenu, belle, le front haut,