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l’esprit !…et quels yeux !… pensait la petite princesse vers qui Christian se penchait à chaque instant, cherchant à diminuer la distance que le cérémonial mettait entre eux.

C’était plaisir de la voir s’épanouir sous la complaisance évidente de cet auguste regard, jouer avec son éventail, pousser de petits cris, renverser sa taille souple où palpitait le rire en ondes sonores et visibles. La reine, par son attitude, la conversation intime qu’elle avait avec le vieux duc son voisin, semblait s’isoler de cette gaieté débordante. À deux ou trois reprises, quand on parla du siège, elle dit quelques mots, et chaque fois pour mettre en lumière la bravoure du roi, sa science stratégique, puis elle reprenait son aparté. À demi-voix le général s’informait des gens de la cour, de ses anciens compagnons qui, plus heureux que lui, avaient suivi leurs princes à Raguse. Beaucoup y étaient restés, et à chaque nom que prononçait Rosen, on entendait la reine répondre de sa voix sérieuse un : « Mort !… mort !… » note funèbre sonnant le glas de ces pertes si récentes. Pourtant, après le dîner, quand on fut rentré dans le salon, Frédérique s’égaya un peu ; elle fit asseoir Colette de Rosen sur un divan à côté d’elle, et lui parla avec cette familiarité affectueuse dont elle se servait pour attirer les sympathies et qui ressemblait à la pression de sa belle main tendue,