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LES ROIS EN EXIL

Silvis. Heureusement que l’innocente dame dînait dans la chambre de son élève et ne pouvait entendre les rires provoqués par les plaisanteries du roi. Boscovich et son herbier lui servirent ensuite de cible. On eût dit vraiment qu’il voulait, à force de gaminerie, se venger de la gravité des circonstances. Le conseiller aulique Boscovich, petit homme sans âge, peureux et doux, avec des yeux de lapin qui regardaient toujours de côté, était un jurisconsulte savant, fort passionné pour la botanique. À Raguse, les tribunaux étant fermés, il passait son temps à herboriser, sous les bombes, dans les fossés des fortifications ; héroïsme bien inconscient d’un esprit tout à sa manie, et qui se préoccupait uniquement, dans l’immense désarroi de son pays, d’un herbier magnifique resté aux mains des libéraux.

— Tu penses, mon pauvre Boscovich, disait Christian pour l’effrayer, quel beau feu de joie ils ont dû faire de ces entassements de fleurs séchées… à moins que la République, étant trop pauvre, n’ait imaginé de tailler dans tes gros buvards gris des capotes de rechange pour ses miliciens…

Le conseiller riait comme tout le monde, mais avec des mines effarées, des « Ma che… ma che » qui trahissaient ses peurs enfantines.

— Que le roi est charmant !… qu’il a de