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LES ROIS EN EXIL

les derniers gentilshommes de France et les familles royales réfugiées à Paris ; car ils sont tous là les exilés, les dépossédés du trône, venus pour faire honneur à leur cousin Christian, et ça n’a pas été une petite affaire de placer ces couronnes selon l’étiquette. Nulle part les questions de préséance ne sont plus difficiles à résoudre qu’en exil, où les vanités s’aigrissent, où les susceptibilités s’enveniment en véritables blessures.

Dans la tribune Descartes, — toutes les tribunes portent le nom de la statue au-dessous d’elles, — le roi de Westphalie garde une attitude hautaine que rend encore plus frappante la fixité de ses yeux, des yeux qui regardent mais ne voient pas. De temps en temps il sourit dans une direction, s’incline vers une autre. C’est sa préoccupation constante de cacher une cécité irrémédiable ; et sa fille l’aide à cela de tout son dévouement, cette grande et mince personne qui semble pencher la tête sous le poids des tresses dorées dont elle a toujours caché la nuance à son père. Le roi aveugle n’aime que les brunes. « Si tu avais été blonde, dit-il parfois en caressant les cheveux de la princesse, je crois que je t’aurais moins aimée. » Couple admirable faisant sa route d’exil avec la dignité, le calme fier d’une promenade dans les parcs royaux. Quand la reine Frédérique a des heures de défaillance,