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LES ROIS EN EXIL

tout seul je ne pourrais pas… C’est beaucoup d’argent… beaucoup d’argent.

Elle répondit froidement :

— Oh ! il en faudra bien davantage…

Un silence. Le vieux réfléchissait, abritant sa pensée sous ses poils.

— Enfin, voilà… dit-il… Je fais l’affaire ; mais à une condition. Cette maison de l’avenue de Messine… Il va falloir la meubler chiquement… Eh bien ! c’est moi qui fournirai le bibelot…

Dans les trafics de l’usurier, le brocanteur montrait sa patte. Séphora partit d’un éclat de rire à trente-deux dents :

— Oh ! la vieille fripe… la vieille fripe… disait-elle, se servant d’un mot qu’elle retrouvait soudain dans l’air de la brocante et qui jurait avec sa distinction de toilette et de tenue ; — allons, c’est convenu, pa… Vous fournirez le bibelot… mais rien de la collection de maman, par exemple !

Sous cette étiquette hypocrite : « Collection de Mme Leemans », le brocanteur avait groupé un ramassis d’objets tarés, invendables, dont il se défaisait magnifiquement grâce à cette grimace sentimentale, ne détachant du précieux lot des reliques de sa chère défunte que ce qu’on lui payait au poids de l’or.

— Vous m’entendez, vieux… pas de carottes, pas de pannes… La dame s’y connaît.