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LES ROIS EN EXIL

Il l’entraînait vers la maison.

— Oh ! mais vous savez, je ne veux pas que la Darnet soit là…

— Bon… bon… dit le vieux, souriant dans ses broussailles ; et en entrant il cria à la servante, en train de faire reluire les glaces d’un miroir de Venise, toujours essuyant, fourbissant, le front lisse comme un parquet :

— Darnet, tu iras voir dans le jardin si j’y suis.

Et le ton dont ce fut dit prouvait que le vieux pacha n’avait pas encore abdiqué aux mains de l’esclave favorite. Ils restèrent, le père et la fille, tous deux seuls dans le petit salon soigné, bourgeois, dont le meuble couvert de housses blanches, les petits tapis de laine au pied des chaises, contrastaient avec le tohu-bohu des richesses poussiéreuses dans le hangar et l’atelier. Comme ces fins cuisiniers qui n’aiment que les mets les plus simples, le père Leemans, si expert et curieux aux choses d’art, n’en possédait pas chez lui la moindre bribe, et montrait bien en cela le marchand qu’il était, estimant, trafiquant, échangeant, sans passion ni regret, non comme ces artistes du bibelot qui avant de céder une rareté s’inquiètent de la façon dont l’amateur pourra l’entourer, la faire valoir. Seulement aux murs son grand portrait en pied, signé Wattelet, et le représentant au milieu de ses ferrailles, en pleine