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LES ROIS EN EXIL

au bord d’une oreille rose de froid, un peigne rutilant, le clinquant d’une boucle à la taille, la ligne blanche d’un journal plié dans la poche d’un waterproof. Et quelle hâte, quel courage ! Des manteaux légers, des jupes minces, la marche mal assurée sur des talons trop hauts que les courses nombreuses ont tournés. Chez toutes le désir, la vocation de la coquetterie, une façon de s’en aller le front levé, les yeux en avant, avec la curiosité de ce qu’apportera cette journée commencée ; des natures toutes prêtes pour le hasard, comme leur type parisien, qui n’en est pas un, est prêt pour toutes les transformations.

Séphora n’était pas sentimentale et ne voyait jamais rien en dehors de la chose et de l’heure présentes ; pourtant ce piétinement confus, ce bruissement hâtif autour d’elle, l’amusait. Sur tous ces minois elle retrouvait sa jeunesse, dans ce ciel matinal, dans ce vieux quartier si curieux dont chaque rue porte à son angle, sur un cadre, le nom des notables commerçants, et qui n’avait pas changé depuis quinze ans. En passant sous la voûte noire servant d’entrée à la rue Eginhard, du côté de la rue Saint-Paul, elle rencontra la longue robe de rabbin qui se rendait à la synagogue voisine ; deux pas plus loin, le tueur de rats avec sa gaule et sa planchette à laquelle pendent les cadavres velus, type de l’ancien Paris qu’on ne trouve