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vant timide et docile à tous les caprices, le sigisbée en titre, au vu et au su de tout Paris ; et si la beauté de la dame pouvait lui servir d’excuse aux yeux du monde, l’amitié, la familiarité du mari, n’avaient rien de réjouissant. « Mon ami Christian II… », disait J. Tom Lévis, redressant sa petite taille. Il eut une fois la fantaisie de le recevoir à Courbevoie, histoire de causer aux Spricht une de ces rages jalouses qui hâtaient les jours de l’illustre couturier. Le roi parcourut la maison et le parc, monta dans le yacht, consentit à se laisser photographier sur le perron au milieu des châtelains qui voulaient éterniser le souvenir de cette inoubliable journée ; et le soir, pendant qu’on tirait en l’honneur de Sa Majesté un feu d’artifice dont les fusées tombaient doublées par la Seine, Séphora, appuyée au bras de Christian, lui disait le long des charmilles, toute blanche d’un reflet de flamme de Bengale :

— Oh ! comme je vous aimerais, si vous n’étiez pas roi !…

C’était un premier aveu, et bien adroit. Toutes les maîtresses qu’il avait eues jusqu’ici adoraient en lui le souverain, le titre glorieux, la lignée d’ancêtres. Celle-là l’aimait bien pour lui-même. « Si vous n’étiez pas roi… » Il l’était si peu, il lui aurait si volontiers sacrifié le lambeau de pourpre dynastique qui lui tenait à peine aux épaules !