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LES ROIS EN EXIL

de sa phrase, elle ajouta que depuis longtemps elle avait une envie folle d’aller dans ce petit théâtre « voir cette danseuse suédoise, vous savez… » Mais son mari ne la menait nulle part.

Il lui proposa de la conduire.

— Oh ! vous êtes trop connu…

— En restant bien cachés au fond d’une baignoire…

Bref, on prit rendez-vous pour le lendemain ; car justement Tom passait sa soirée dehors. Quelle délicieuse escapade ! Elle, sur le devant de la loge, en toilette savante et discrète, épanouie d’une joie d’enfant à regarder la danse de cette étrangère qui eut à Paris son heure de célébrité, une Suédoise au mince visage, aux gestes anguleux, montrant sous ses bandeaux blonds des yeux brillants et noirs tenant l’iris entier, des yeux de rongeur, et dans ses élans, dans ses bonds silencieux, tout de noir vêtue, l’effarement aveugle d’une grande chauve-souris.

— Que je m’amuse !… que je m’amuse !… disait Séphora.

Et le roi viveur, immobile derrière elle, une boîte de fondants sur les genoux, ne se souvenait pas d’une volupté plus douce que le frôlement de ce bras nu sous la dentelle, de cette haleine fraîche qui se tournait vers lui. Il voulut la reconduire jusqu’à la gare Saint-Lazare, puisqu’elle repartait pour la campagne, et dans la