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LES ROIS EN EXIL

Elle ne mentait pas. Depuis le temps qu’il lui faisait la chasse, il en était encore à lui toucher le bout des doigts, à mordiller après elle ses porte-plumes, à se griser au frôlement de sa jupe. Jamais pareille chose n’était arrivée à ce Prince Charmant, gâté des femmes, assailli de sourires quêteurs et de lettres parfumées. Sa jolie tête frisée, où restait l’empreinte d’une couronne, la légende héroïque savamment entretenue par la reine, et sur toute chose le parfum de séduction qui enveloppe les êtres aimés, lui avaient valu dans le faubourg de vrais succès. Plus d’une jeune femme aurait pu montrer, pelotonné sur un divan de boudoir aristocratique, un ouistiti de la cage royale ; et dans le monde des coulisses, en général monarchique et bien pensant, cela posait tout de suite une demoiselle d’avoir sur son album à souvenirs le portrait de Christian II.

Cet homme habitué à sentir les yeux, les lèvres, les cœurs aller vers lui, à ne jamais jeter son regard sans que quelque chose frémit au bout, se morfondait depuis des mois en face de la nature la plus paisible, la plus froide. Elle jouait à la caissière modèle, comptait, chiffrait, tournait les pages lourdes, ne montrant au soupirant que la rondeur veloutée de son profil avec le frisson d’un sourire en coin finissant à l’œil, au bord des cils. Le caprice du