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luxe avec des privations sinistres par dessous. Le linge royal, portant couronne, se trouait dans les armoires et on ne le remplaçait pas. Les écuries étaient vides, les plus grosses pièces d’argenterie engagées ; et le service à peine suffisant restait souvent plusieurs mois impayé. Tous ces détails, Tom les tenait de Lebeau, le valet de chambre, qui lui avait appris aussi l’histoire des deux cents millions proposés par la Diète de Leybach et la scène à laquelle ils avaient donné lieu.

Depuis que le roi se savait deux cents millions, là tout près, contre une becquée d’encre, il n’était plus le même, ne riait plus, ne parlait plus, gardait toujours cette idée fixe comme un point névralgique au même côté du front. Il avait des humeurs de dogue, de gros soupirs silencieux. Pourtant rien n’était changé à son service particulier : secrétaire, valet de chambre, cocher, valets de pied. Le même luxe coûteux d’ameublement et de tenue. Cette Frédérique, enragée d’orgueil, croyant masquer à tous sa détresse à force de hauteur, n’aurait jamais permis que le roi fût privé de rien. Quand il mangeait par hasard rue Herbillon, la table devait être luxueusement servie. Ce qui manquait par exemple, ce qu’elle ne pouvait pas fournir, c’était l’argent de poche, pour le club, le jeu, les demoiselles. Évidemment le roi succomberait par là. Un beau matin, après