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par éclairs dans les lignes bibliques de son visage, les retrouvait dans l’ironie, dans le rire canaille de sa bouche de Salomé.

Cet amour singulier de la belle et du monstre ne fit que s’accroître à mesure que la femme entra mieux dans la vie du pitre, dans la confidence de ses trucs, de ses singeries, depuis l’invention du cab jusqu’à celle des gilets multiples à l’aide desquels J. Tom Lévis, ne pouvant se grandir, essayait au moins de paraître majestueux ; à mesure qu’elle s’associait à cette existence imprévue, tourbillonnante, de projets, de rêves, de grands et de petits coups. Et ce singe d’homme était si fort, qu’après dix années de ménage légitime et bourgeois il l’amusait, la charmait encore, comme au premier temps de leur rencontre. Il aurait suffi, pour s’en convaincre, de la voir ce jour-là renversée sur le divan du petit salon se tordre, se rouler de rire, en disant d’un air ravi, extasié : « Est-il bête !… est-il bête !… » pendant que Tom, en collant et tricot de couleur, réduit à son expression la plus sobre, chauve, anguleux, osseux, se livrait devant elle à une gigue frénétique, avec des gestes, en bois et des trépignements enragés. Quand tous deux furent las, elle de rire et lui de gigoter, il se jeta à son côté sur le divan, approcha sa face simiesque de cette tête angélique, et lui soufflant sa joie dans la figure :