Page:Daudet – Les Rois en exil – Éditons Lemerre.djvu/235

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
230
LES ROIS EN EXIL

elle et Tom un lien se formait, une amitié d’oncle à pupille. Il la conseillait, la guidait, toujours avec une adresse, une fertilité d’imagination, qui ravissaient cette nature posée et méthodique où le fatalisme juif se mêlait au lourd tempérament des Flandres. Jamais elle n’inventait, n’imaginait rien, toute à la minute présente, et le cerveau de Tom, cette pièce d’artifice toujours allumée, devait l’éblouir. Ce qui l’acheva, ce fut d’entendre son pensionnaire, un soir qu’il avait baragouiné de la façon la plus comique pendant le dîner, lui dire à l’oreille en prenant sa clef dans le bureau du family :

— Et vous savez, pas Anglais du tout.

Dès ce jour elle s’éprit, ou plutôt — car les sentiments ne valent que par l’étiquette — elle se toqua de lui, comme une femme du monde se toque du comédien qu’elle est seule à connaître, loin de la rampe, du fard, du costume, tel qu’il est et non tel qu’il paraît aux autres ; l’amour voudra toujours des privilèges. Puis tous deux sortaient du même ruisseau parisien. Il avait sali le bas des jupes de Séphora, et Narcisse s’y était roulé ; mais ils en gardaient également la souillure et le goût de vase. L’empreinte faubourienne, le pli crapuleux qui sert de ficelle à la physionomie en guignol du voyou et qui soulevait parfois un coin du masque de l’Anglais, Séphora les laissait voir