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LES ROIS EN EXIL

sit le mieux. Il lui dut la connaissance de Séphora, qui tenait alors, aux Champs-Élysées, une sorte de « Family Hotel, » logis coquet à trois étages, rideaux roses, petit perron sur l’avenue d’Antin, entre de larges asphaltes égayés de verdure et de fleurs. La maîtresse de maison, toujours en tenue, présentait à une fenêtre du rez-de-chaussée son profil calme et divin penché sur quelque ouvrage ou sur son livre de caisse. Là-dedans, une société, bizarrement exotique : clowns, bookmakers, écuyers, marchands de chevaux, la bohème anglo-américaine, la pire de toutes, l’écume des placers et des villes de jeu. Le personnel féminin se recrutait parmi les quadrilles de Mabille, dont les violons s’entendaient tout près les soirs d’été, mêlés au bruit des disputes du family, à l’écroulement des jetons et des louis, car on jouait gros jeu après dîner. Si parfois quelque honnête famille étrangère, trompée par le mensonge de la façade, venait pour s’installer chez Séphora, l’étrangeté des convives, le ton des conversations la chassaient bien vite, le premier jour, éperdue, les malles à peine défaites.

Dans ce milieu d’aventuriers, de faiseurs, maître Poitou, ou plutôt Tom Lévis, ce petit locataire logé sous les combles, conquit bien vite une situation par sa gaieté, sa souplesse, sa pratique des affaires, de toutes les affaires.